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Un prophète avec sous-titres 1280

Critique lors de la sortie en salle le 26/08/2009

Par Pierre Murat

Tout est glacé et ironique dans le nouveau film de Jacques Audiard, à commencer par son titre. Car enfin, à part son don - ponctuel, d'ailleurs - pour prédire le surgissement imprévu d'un chevreuil sur une route marseillaise, Malik (Tahar Rahim, presque aérien dans un rôle écrasant) n'a rien d'un prophète. A moins qu'il n'annonce simplement la venue d'un «nouveau type de mecs », comme dit le cinéaste, une sorte de goodfella à la Scorsese, un « affranchi » sans la faute, privé, donc, du salaire du péché.

C'est que Malik est vierge. La morale, c'est pas trop son truc, il ne sait même pas ce que c'est. S'il le savait, d'ailleurs, il s'en méfierait. La morale, c'est du luxe pour quelqu'un comme lui. jeune, seul et analphabète. Quand il aboutit à la Centrale - six ans à tirer. -, il se fait aussitôt rosser, voler. Dans cette prison-là, ce sont les Corses qui font la loi. Et, justement, le plus influent d'entre eux, César Luciani (Niels Arestrup, génial en Don Corleone miniature) le choisit pour assassiner un gêneur, un donneur. Avec la complicité d'un gardien, Malik devra accepter de s'introduire dans la cellule du gars, de lui monnayer ses faveurs et, celui-là en pleine extase, de lui trancher la gorge avec la lame de rasoir qu'il aura appris à dissimuler dans sa bouche.

Malik accepte. Il apprend. C'est fou ce qu'il accepte. C'est dingue ce qu'il apprend. l'alphabet, le corse, l'économie. Il s'adapte, en fait. Et à force de s'adapter, lui, l'Arabe, le bougnoule qui « pense avec ses couilles », comme dit Luciani, il s'organise. Il se rend utile, il manipule, tisse des liens secrets, crée des réseaux parallèles. Peu à peu, il accède au pouvoir. C'est presque du Balzac, Un prophète !

De nos jours, ce n'est plus dans les journaux ni par les femmes que l'on fait carrière. Le paradoxe - l'ironie, là encore. - d'Audiard, c'est d'avoir situé dans le huis clos d'une prison - les règles y sont aussi strictes que celles auxquelles obéissaient jadis Rastignac ou Lucien de Rubempré - l'irrésistible ascension de ce héros de notre temps.

On pourrait croire Jacques Audiard fasciné par toutes ces luttes de pouvoir. Mais non, il s'en amuse. On le sent jubiler comme un malade, par exemple à l'idée de ce dénouement, ultime pirouette de ce jeu de dupes généralisé. Seul ce jeu l'intéresse, en fait. Sa mise en place. Son déroulement. Son cérémonial. comment, armé de son inconscience et de sa débrouillardise, un petit mec - un « prophète », donc - slalome entre les pièges pour mieux en triompher.

Depuis Regarde les hommes tomber , son premier long métrage, on connaît l'intérêt de Jacques Audiard pour des jeunes gens à la virilité angoissée (interprétés par Matthieu Kassovitz, puis par Romain Duris), fatalement poussés à « tuer le père » pour essayer de vivre, enfin. C'est cette trahison permanente entre les générations qui le fascine. comment elle naît dans le coeur des hommes, comme elle s'infiltre en eux, anesthésiant au passage la révolte et le remords. Trahir et survivre, c'était le sort des jeunes gens de Un héros très discret et de De battre mon coeur s'est arrêté. Et l'intérêt des films naissait du regard de moraliste - un moraliste presque moralisateur - que posait le cinéaste sur des personnages en délicatesse avec eux-mêmes comme avec la loi.

Dans Un prophète, c'est avec la même méticulosité, mais avec une légèreté inattendue, qu'il contemple la chorégraphie que semble dessiner, dans sa prison, son survivant obstiné. On navigue constamment entre le réalisme pointilliste de Jacques Becker, lorsqu'il filmait Le Trou et l'irréalisme lyrique d'un Coppola dans sa trilogie mafieuse. Il y a même, au coeur de l'intrigue, de brusques et fulgurantes échappées oniriques. que ce soit à l'extérieur de la prison - lors des rares sorties de Malik - ou à l'intérieur même de son inconscient. Alors, à ses côtés dans la cellule apparaît, telle une ombre chère, presque fraternelle, l'homme qu'il a été forcé d'assassiner, dont la présence s'évaporera, dès lors que Malik s'abandonnera à son destin.

Ce mélange de classicisme et d'extravagance était, depuis longtemps, la marque des films d'Audiard. Mais, même dans les plus réussis (De battre mon coeur s'est arrêté ) se glissaient, de-ci de-là, quelques scories, une ou deux longueurs, quelques traits d'un cynisme forcé.

Ici, sa maîtrise séduit et subjugue. La forme et le fond s'épousent, comme dans les grands films américains qu'il n'a jamais cessé d'admirer. A chaque instant, l'audace l'emporte, comme dans l'effrayante séquence de la fusillade où, assourdi par le crépitement des balles, Malik sourit pour la première fois. Heureux. Béat. Au-delà du Bien et du Mal. Sauvé et foutu.

Critique du 22/04/2017

Par Pierre Murat

| Genre. Rastignac 2010.

Malik Г©choue en taule pour un petit larcin et se fait aussitГґt rosser et voler. Dans cette prison-lГ. ce sont les Corses qui font la loi. Et, justement, le plus influent d'entre eux, CГ©sar Luciani le choisit pour assassiner un gГЄneur. Malik accepte. Il apprend. C'est fou ce qu'il accepte. C'est dingue ce qu'il apprend. Peu Г peu, il accГЁde au pouvoir.

Depuis Regarde les hommes tomber. son premier film, on connaГ®t l'intГ©rГЄt de Jacques Audiard pour les jeunes gens Г la virilitГ© angoissГ©e fatalement poussГ©s Г В« tuer le pГЁre В».

Dans Un prophГЁte. c'est avec la mГЄme mГ©ticulositГ©, mais avec une lГ©gГЁretГ© inattendue, qu'il contemple la chorГ©graphie que semble dessiner, dans sa prison, son survivant obstinГ©. Sa maГ®trise sГ©duit et subjugue. A chaque instant, l'audace l'emporte, comme dans l'effrayante sГ©quence de la fusillade oГ№, assourdi par le crГ©pitement des balles, Malik sourit pour la premiГЁre fois. Heureux. BГ©at. Au-delГ du bien et du mal. SauvГ© et foutu. — Pierre Murat